Histoire du naturisme dans la région marseillaise

Le numéro 13 de « Vivre intégralement » du 15 juillet 1930 :

« Les Naturistes de Provence ont donné leur deuxième dîner végétarien au restaurant des Bains Monnier à la plage. Autour d’une table fleurie abondamment garnie, une centaine de convives avaient pris place. Le repas s’est poursuivi en une saine gaieté au milieu des rires et des chants. Nombreuses questions traitant du naturisme en général et de l’organisation de la libre culture en France ont été une bonne partie de la conversation. Après le repas, une sauterie intime fit apprécier aux spectateurs présents la grâce de la culture physique appliquée à la danse. Soirée très réussie ».

Notez l’emploi du terme « sauterie » qui aujourd’hui n’aurait pas la même signification et qu’il serait maladroit d’employer dans un compte rendu de réunion entre naturistes ! Evidemment, ici, on parle d’une interprétation de la danse libre de Malkowsky, artiste très apprécié dans le mouvement naturiste de « Vivre ». Le « Grand café-restaurant des bains de mer Louis Monnier », était situé à l’emplacement actuel de l’Escale Borély, avec un ponton de trente mètres sur la mer. Le ponton était prolongé par des piquets reliés entre eux par des cordes pour permettre aux baigneurs de ne pas prendre de risque, car peu de Marseillais savaient nager.
(Photos des Bains Monnier)

En 1930, Orplid, près de Francfort, est le centre le plus connu et le plus important du pays. Ce terrain fait partie de la RFK (Reichsverband für Freikörperkultur). Bieck Sallwey en est le président. Cette fédération compte alors plus de 5.000 membres et les terrains principaux se trouvent à Dresde, Munich, Dortmund, Breslau, Dantzig, Dessau, Leipzig, Hambourg, Francfort, Magdebourg, Darmstadt, Hanovre et Chemnitz. En réalité, toutes les grandes villes allemandes disposent d’un stade gymnique. C’est donc le terrain de Dornholzhangen qui est choisi pour un rassemblement historique durant le week-end de Pentecôte, le 8 juin 1930. Il s’agira du « premier congrès nudiste international », dixit le ma-gazine « Vivre » du 1er juillet 1930. Des Marseillais y seront présents et leur discours sera très largement applaudi.

En 1960, avec les Drs Poucel et Beltrami, deux pionniers naturistes marseillais étaient membres d'honneurs de la FFN

Les Naturistes Phocéens ont participé au livre sur l'histoire de la Santé à Marseille édité par le Comité du Vieux Marseille. Il fait 300 pages, coûte 20 € et contient 7 pages sur les célèbres docteurs naturistes marseillais qui ont oeuvré pour l'hygiène à Marseille.

Très chouette découverte !
Voici le premier numéro de "Union Calanques Littoral" de 1992 qui a lancé l'idée de créer le Parc National des Calanques.
Sur cette première page est cité un collectif qu'avait rejoint les Naturistes de Provence dés le début !
Comme quoi les naturistes marseillais ont toujours soutenu la défense de nos collines !

Le papa de Luc Vanrell (plongeur de la grotte Cosquer) fréquentait les Pierres Tombées (Calanques de Marseille)

1930.11.15 - le petit marseillais
Journal un peu caméléon, "le petit marseillais" alternait les articles positif sur le naturisme, surtout ceux qui émanaient de Docteurs réputés, avec d'autres articles très critiques.

1938.06.22 - le petit marseillais
" Que l'été soit clément envers les naturistes "

« On a déclaré immorale une partie de notre corps. Chacun de nous l’a. Elle est bien à nous, on ne l’a pas volée et pourtant on doit faire comme si on ne l’avait pas. Il est défendu de la faire voir et même d’en parler. Cette partie n’est pas obligatoirement la même dans différents pays. Chez nous, vers 1900, la vue d’une cheville féminine était hautement pornographique. Immorale était aussi la vue des cheveux d’une femme mariée chez les juifs orthodoxes. La femme musulmane surprise dévoilée par un homme, n’hésite pas à se couvrir le visage avec sa jupe. Les japonais se baignent nus devant tout le monde. Les Russes, plus pudiques, séparent la plage pour hommes et femmes et laissent un « no man’s land » de quelques mètres au milieu. Dans l’eau, tout le monde se trouve ensemble, l’eau habille suffisamment selon la morale russe. »

Oxent Missieroff, « Introduction aux débats sur le naturisme et l’évolution générale », in Tribune Libre, 27 avril 1968

Qui sont les premiers naturistes ?

Le médecin marseillais, le Dr Joseph Poucel les décrit dans son livre "Le naturisme et la vie" (1933) :
"Il s'agit souvent d'anciens blessés de guerre, d'anciens candidats à la tuberculose, auxquels on avait fait faire de l'héliothérapie. Ayant essayé de tout auparavant, cela seul les a guéris. Ils ont continué et se sont habitués à l'air, eux, puis leur famille. D'autres sont venus au nudisme par le sport et surtout par la natation. Dans la mer, leur caleçon gênait, ils l'ont enlevé, puis n'ont plus pu le remettre"

« On a déclaré immorale une partie de notre corps. Chacun de nous l’a. Elle est bien à nous, on ne l’a pas volée et pourtant on doit faire comme si on ne l’avait pas. Il est défendu de la faire voir et même d’en parler. Cette partie n’est pas obligatoirement la même dans différents pays. Chez nous, vers 1900, la vue d’une cheville féminine était hautement pornographique. Immorale était aussi la vue des cheveux d’une femme mariée chez les juifs orthodoxes. La femme musulmane surprise dévoilée par un homme, n’hésite pas à se couvrir le visage avec sa jupe. Les japonais se baignent nus devant tout le monde. Les Russes, plus pudiques, séparent la plage pour hommes et femmes et laissent un « no man’s land » de quelques mètres au milieu. Dans l’eau, tout le monde se trouve ensemble, l’eau habille suffisamment selon la morale russe. »

Oxent Missieroff, « Introduction aux débats sur le naturisme et l’évolution générale », in Tribune Libre, 27 avril 1968

"Le topo guide édité par le CAF est bien utile pour trouver et suivre le sentier de Sugiton, balisé depuis le petit port de Morgiou. Mais les meilleurs guides sont encore les naturistes marseillais, légitimement fiers de leurs calanques, et toujours disposés à accompagner leur amis de passage".
"Demain les vacances" Jean Gantois, juillet 1962, la Revue naturiste internationale

Photos : Luminy et Morgiou

Georges Beltrami (1881-1961) est un des principaux pionniers du naturisme à Marseille au côté du Dr Poucel. Moins connu que ce dernier dans les archives naturistes, il a pourtant été dans le Comité d'honneur de la FFN et au Comité de "Vivre !" dès 1929.
En 1914, il participe à la bataille de la Marne en tant que médecin commandant, puis après avoir été appelé à Verdun, il prend la direction d’un important service pour soigner plus de 2500 malades atteints de la fièvre typhoïde.

En 1917, il est appelé à Bordeaux dans un service de chirurgie maxillo-faciale pour les Gueules cassées.
A son retour à Marseille Georges Beltrami fonde l’école et dispensaire dentaire de la montée des Accoules. Deux cents nécessiteux par jour en moyenne y sont soignés gratuitement. L’école fut le lieu de nombreuses réunions et colloques ou des professionnels de la santé venaient de tous les coins du globe, comme lors du 5ème Congrès d’orthopédie dento-faciale, en janvier 1926.
En 1927, l’établissement reçut le titre de Dispensaire officiel du Bureau de bienfaisance. Il survivra jusqu’en 1992, date où il devint un centre dentaire.

Il est décoré de la Croix de guerre 1914-1918 puis Chevalier de la Légion d’Honneur en 1932.
Photos et archives données par l'association pour la préservation du patrimoine médical de Marseille

En 1943, Oxent Miesseroff s'engage dans la résistance dans le maquis de Barrême. A la fin de la guerre, il créera un centre naturiste à Marseille qui reprendra le nom d'une ancienne association les Libres Culturistes de Provence.
Voici sa carte de résistant.

Georges Hébert (Paris 1875 - Deauville 1957)

L'hébertisme bouleversa en 1904 l'éducation physique. Cette gymnastique a été mise au point à l'école des fusiliers marins de Lorient. Par la variété de ces exercices, la méthode Hébert procurait un épanouissement physique qui se démarquait de la méthode suédoise appliquée jusque-là.
Cette méthode révolutionnaire s'inspirait de la vie sauvage des peuples indigènes que le lieutenant de vaisseau Hébert avait eu l'occasion de voir durant ses voyages avec la marine.
Notre abbé Urbain Legré, pionnier du naturisme marseillais, s'inspirait de cette méthode lors de ses sorties avec les enfants de sa paroisse pour les aguerrir.

"La vie saine" était une revue éditée par une association naturiste culturiste des années 50. L'optique de l'association était de communiquer sur l'hygiène par le sport en proposant une salle d'entrainement de culture physique et un sauna.

Guide du Club Alpin Français, 1950, avec mention du naturisme à la Lèque et aux Pierres Tombées

Au début des années 80, les Naturistes de Martigues basaient à la plage de Bonnieu depuis 1975, comptait 1820 adhérents, tous licenciés FFN.
En 1985, l'association naturiste de Fos fut créée avec 550 adhérents et Martigues tombe alors à 1359 adhérents.
La plage de Bonnieu a été la première plage officiellement autorisé au naturisme des Bouches du Rhône (22 juin 1975)

"Hygiène sociale, vers la santé par les sources hydrominérales" par le Dr L. Porcheron ("Le Petit Marseillais", 01.04.1932)
"La génération actuelle qui a préludé aux pratiques du grand air et de l'héliothérapie verra sans doute se réaliser prochainement le culte universel de la Trinité naturiste : air, soleil, sources Hydro-minérales. Car il faut bien se persuader que l'emploi des eaux thermales est presque aussi nécessaire à l'organisme que l'usage des bains d'air et de soleil "
"Les cures thermales appliquées annuellement aux enfants dès l'âge de 5 ans pouvaient arrêter l'évolution d'une maladie telle que la pharyngite, l'amygdalite, la laryngite, l'otite, l'adénopathie, la trachéo-bronchite, la bronchite à répétition, l'asthme infantile, la toux spasmodique, l'ictère, la gastro-entérite"
"Combien il serait plus simple de prévenir le mal que de chercher à guérir des lésions plus ou moins invétérées"

À la seconde guerre mondiale, des militaires russes avaient été fait prisonniers par les nazis au fort St Nicolas de Marseille.
À l'armistice, les autorités russes ont demandé aux autorités françaises de les maintenir prisonniers avant de les renvoyer. Mais c'était le goulag qui les attendait car c'était un déshonneur pour les Russes de s'être fait capturé.
Eugénie Mordacovitch (alias Génia) et Oxent Miesseroff (alias Aliocha et résistant dans le maquis de Barrême) ont alors mis en place une petite organisation pour faire évader certains d'entre-eux.
Le dompteur de fauve du cirque Bouglione, Michel Matrosoff faisait partie de ces prisonniers russes évadés du fort St Nicolas.
Par la suite, Génia et Aliocha ont réanimé l'ancienne association naturiste "les Libres Culturistes de Provence" avec un terrain dans le 9éme arrondissement de Marseille.

Dans les années 30/50, le naturisme permettait de partager des valeurs et unissait les gens autour d'un même idéal. Souvent, ils ne disaient même pas à leur famille qu'ils étaient naturistes. C'était presque un secret réservé à des initiés. Ces naturistes étaient des précurseurs d'un nouvel art de vivre, c'était des "pionniers".
Quand au sein d'une association, il y avait des disputes, on se serrait les coudes, il y avait une unité forte.
(Photo de naturistes au Frioul, 1930)

Le terrain des Libres Culturistes de Provence dans le 9ème arrondissement de Marseille était séparé en deux. D'un côté, une usine de papier de verre et de l'autre la partie naturiste. Vers 1950, un incendie ravage l'usine, une voisine du quartier dit alors au percepteur :
" Ces gens sont fous, ils n'ont pas d'argent, pas d'électricité, ils vivent dans des baraques, ils ont à peine l'eau, ils ont un bébé et ils chantent, dansent et boivent du thé toute la journée".
Photo d'Aliocha, Génia et de Lola à la Vieille Chapelle en 1957.

L'abbé Urbain Legré, précurseur du naturisme marseillais

1954 juillet aout - La vie au soleil - N°36

Ces Jésuites d'Aix-en-Provence fréquentaient la plage naturiste de Bonnieu et le Jas du Sarraire

https://www.coeurnaturiste.com/?p=8664

Tous les articles de Robert Perronneaud sur mon blog. Il a été président d'une association naturiste sportive marseillaise entre 1950 et 1960.

L'oncle Jésuite du Dr Joseph Poucel, Victor Poucel, narre dans ce récit une des sorties familiales à En Vau dans son livre "les Calanques en périls" (1923) :

« Le sentier s’enfonçant à chaque pas, nous entraînait par les lacets sinueux entre des escarpements d’où montaient, vers le ciel relevé hors d’atteinte, de hautes aiguilles de pierre. Puis le fond s’aplanissait, et le vallon élargi pré-sentait avec toutes ses flèches l’aspect d’une cathédrale gothique dont la voûte s’ouvrirait. (…) Après une demi-heure de marche s’inaugurait la partie la plus admirable : deux pylônes géants qui se répondent annoncent nette-ment une entrée. A partir de là, tout est immense, tout est prodigieux de sveltesse dans un ensemble majestueux. (…) Un dernier détour et nous poussons un cri. La mer enfin ! La mer emprisonnée entre les murs de la ca-thédrale merveilleuse ; la mer devenue un lac pacifié ; lac d’or, d’azur, que la colline prolongeait longtemps encore entre ses bras de pierre, jusqu’à ce que là-bas, au fond, s’ouvrit la perspective de la haute mer, avec le lointain rougi des falaises. (…) Oui, tout est beau à En Vau. La solitude y est d’une qualité rare et s’appellerait aussi bien « méditation » tellement la suggestion de ce lieu est intense ».

L’hommage du Dr Fouquet pour le Dr Poucel : « un sain parmi les hommes » (1971)

Bonjour tt le monde.

Où notre vénéré président trouve-t-il le temps de découvrir, archiver, et diffuser, autant de précieux documents sur le naturisme marseillais et provençal ?
Merci Bruno !

Inévitablement, quelques passages de ces textes ont vieilli et ne sont plus valides, y compris dans les textes du Docteur Poucel ; mais ils conservent une vraie valeur historique.
La majorité n'a pas pris une ride.

Détail remarquable : le Dr Poucel emploie le mot écologie bien avant que le mot et le concept soient connus et prennent une place grandissante (en fait il a été créé en 1866 par Ernst HAECKEL, scientifique allemand, et est resté longtemps dans l'ombre, excepté pour quelques grands esprits comme Poucel).
Les sorties de géologie-botanique-toponymie organisées et conduites par Poucel dans les calanques, qui font partie de mes meilleurs souvenirs d'adolescent, étaient imprégnées d'esprit écologiste.

Petits coups de ponceuse :
*Commentaire du Guide CAF, page 107, lignes 3-4 : non, le CAF ne cite pas - et c'est heureux ! les Pierres Tombées comme un espace naturiste.
*Prisonniers russes, page 110 : le terrain naturiste de "Mattéi" n'était pas dans le 9e arrondissement, mais dans le 8e.
*idem page 112.